CAMPUS SOCIAL DE L’UCAD : LE DUR QUOTIDIEN DES ETUDIANTES-MERES

La vie dans un milieu aussi contraignant que le campus social n’est pas chose facile à plus forte raison pour les étudiantes-mères. Devoir suivre correctement leurs cours et gérer leur foyer constitue un véritable casse-tête. Malgré le soutien de leur famille, elles font appel aux autorités universitaires pour des mesures d’accompagnement.

  En ce début du mois de mars, le campus social de l’Ucad (Université Cheikh Anta Diop) bat son plein avec l’arrivée des nouveaux bacheliers. C’est la grande affluence au service médical du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud). Etudiants comme étudiantes doivent prendre leur mal en patience dans la longue queue pour obtenir un certificat de visite médicale, obligatoire dans la procédure de leurs inscriptions pédagogiques. Parmi ces étudiantes, une attire l’attention. Mme Bâ Léna Wade est orientée au département d’anglais de la faculté des lettres et sciences humaines (FLSH). Accompagnée de sa cousine qui tient son bébé en attendant qu’elle termine sa visite médicale, Lena est affublée d’un porte-bébé, en mode kangourou. Mariée depuis janvier 2022 et maman d’une fillette de 4 mois, Mme Bâ ne compte pas baisser les bras. Elle n’est pas venue pour du tourisme au campus. « Je souhaite percer dans ce milieu universitaire. Je peux le faire parce que l’année dernière au moment du baccalauréat j’étais enceinte de 7 mois. Je ne sais pas ce que l’année va donner mais ce qu’est sûr c’est que je ne décrocherai jamais au simple motif que je suis mariée », promet la jeune maman.

Elle se dit consciente des enjeux liés à son cursus. Toutefois, elle n’est pas seule dans ses ambitions : « Franchement, je sens le soutien de ma belle-famille, mon mari en premier. Il ne cesse de me pousser à persévérer davantage pour réussir dans mes études. D’ailleurs, c’est ma cousine qui garde mon enfant quand je me déplace », reconnait-elle.

  Agée de 22 ans, la nouvelle bachelière ne prête pas attention aux remarques des autres, même si elle reconnait : « mon enfant est un obstacle, surtout quand je dois beaucoup bouger. Je ne peux pas l’amener dans certains endroits ; mais parfois je serre la ceinture et je l’amène avec moi. »

  23h passé de quelques minutes au pavillon H du grand campus. Cinq vigiles sont postés devant le portail. Ce sont des agents du Coud qui filtrent les entrées et sorties. Suivant la physionomie des logements universitaires, les personnes vulnérables, à savoir les femmes enceintes et les personnes à mobilité réduite occupent les rez-de-chaussée. En tout cas, c’est l’impression que donnent les couloirs de ce pavillon uniquement réservé aux filles.

                  Familiarité

Agathe Diatta n’est pas la cheffe de résidence encore moins la concierge ; mais de par sa familiarité avec les résidentes elle n’a pas de sens interdit dans le pavillon. L’étudiante en master 2 au département d’anglais, en dehors de ses talents en basket, peut servir aussi de guide. Sans hésiter, Agathe montre la direction qui mène aux chambres où il y a au moins une étudiantes-mariée.

« tok-tok…kufi né ? Ana sama wujju bi ? » (Ndlr : qui est là ? où est ma coépouse ?), taquine Agathe Diatta. A l’intérieur, Yacine Diagne, étudiante en licence 2 à la faculté des sciences et techniques est en pleine discussion avec sa camarade Khadidiatou Nanky. Entre les deux étudiantes, bébé Astou Diouf, la fille de Yacine, âgée d’un an et deux mois.  « La vie au campus n’est pas facile à plus forte raison quand on est maman. Gérer un enfant au campus et vouloir assister aux cours quotidiennement n’est pas chose aisée. Moi, par exemple, quand j’ai cours, ce sont mes camarades de chambres ou mes voisines du même couloir qui s’occupent de bébé Astou », relate Yacine.

  Dans cette chambre, il règne une parfaite cohésion entre camarades. Selon Yacine, la compréhension et l’entraide sont mises en avant dans toutes les relations. « En plus de m’aider, mes camarades me comprennent. Elles ne se sont jamais énervées ou frustrées contre moi ou mon enfant, même si je sais que c’est gênant de vivre avec un enfant turbulent. Je ne les remercierai jamais assez», témoigne-t-elle.

  La preuve de cette parfaite entente, pendant qu’elle nous racontait sa vie au campus, Yacine avait laissé son enfant entre les mains de sa camarade Khadidiatou Nanky.  D’un regard attirant, de teint clair et vêtue d’un pullover rouge assorti d’une chemise blanche, Mlle Nanky est une ancienne colocataire de Mme Diagne. Les deux camarades logeaient ensemble l’année dernière à la chambre 4 du même pavillon ; et depuis lors bébé Astou est le cordon ombilical de leur belle amitié.

 Khadidiatou Nanky, la voilée, confirme dans un sourire : « Je suis la marraine de bébé Astou. Depuis qu’elle est petite, j’assiste sa mère pour qu’elle puisse assister à ses cours. Je suis d’une famille à grande cour ; donc garder un enfant est plus qu’un plaisir pour moi. Et je ne suis pas la seule. Bébé Astou est vraiment adorable. »

                                  « Difficile mais pas impossible »

  En face de la chambre 2 de l’étudiante Yacine Diagne, se trouve celle numéro 10 dont les résidentes sont presque toutes originaires du même village de Fimela, dans la région de Fatick. L’ambiance est au rendez-vous. Si les unes ont les téléphones collés à l’oreille, d’autres s’adonnent à la lecture. Aissatou Diakham, elle, à joue avec son enfant, Abdou Khadre Diouf. Etudiante depuis 2017 et mariée l’année d’après, elle est en master 1 à la faculté des Lettres et sciences humaines. Elle n’éprouve pas beaucoup de difficultés à cumuler études et ménage. « De par mon expérience, je peux dire que c’est difficile d’être maman et d’étudier à la fois, mais ce n’est pas impossible. Il suffit juste d’être bien organisé», confie-t-elle. Cependant, « lors de mon accouchement j’avais pris un congé maternel de 3 mois pour ensuite reprendre les cours », précise-t-elle.

Pendant que le petit Abdou Khadre Diouf joue avec le téléphone, sa maman ajoute : « Parfois dans certaines familles, c’est compliqué de quitter son foyer pour des raisons pédagogiques. Heureusement pour moi, tel n’est pas le cas ». D’où sa reconnaissance envers sa famille qui lui permet d’assumer sa situation matrimoniale : « Mes belles-sœurs m’appellent au quotidien pour prendre de mes nouvelles et celles de mon enfant, surtout à l’approche des vacances.»

  Les vacances sont les plus beaux moments lorsque Mme Sarr voit son mari débarquer d’Espagne pour la croiser dans leur village. Occasion aussi pour se souvenir de leur début. « Lui et moi avons fait quatre ans de relation avant de nous marier. A vrai dire si c’était à refaire je le referais, parce que si je suis aujourd’hui en master c’est parce qu’il m’a beaucoup soutenue. Passer mes vacances avec lui chez nous à Fimela est un ouf de soulagement », s’exalte-t-elle.

Malgré sa situation matrimoniale, Aïssatou reste déterminée dans ses ambitions et se focalise sur ses objectifs. « Être mariée ne veut pas dire ne pas réussir dans la vie. Il y a un prix à payer et il faut de la volonté, du courage et beaucoup de sacrifices », conclut-elle.

  Juste à côté du lit d’Aïssatou Diakham, se trouve celui de sa petite sœur. Mais cette dernière n’a pas son enfant avec elle. A en croire cette étudiante en master 2 à la faculté des sciences juridiques et politiques, c’est pour des raisons sociales qu’elle n’a pas voulu amener son enfant au campus. Surtout qu’elle partage son petit lit avec une autre étudiante. « Vu la situation au campus, j’ai préféré laisser mon enfant au village auprès de ma maman. Sincèrement je ne peux pas vivre avec un enfant dans ces conditions. D’ailleurs j’ai opté pour un sevrage rapide de mon enfant pour pouvoir rester concentrée sur les études », avoue Mme Bane.

Khady Diakham et son époux ont vécu une relation de 7 ans avant de se marier. Leur union sacrée à impacté sur son cursus car elle confie avoir repris l’année de licence à cause de son accouchement. Malgré tout, elle reste persévérante et espère qu’un jour elle atteindra ses objectifs sur les deux champs de bataille. « Je sais que c’est difficile,  mais ce n’est pas parce que c’est dur que je dois baisser les bras… J’ai le soutien ma famille et la compréhension de mes camarades », selon une Khady Diakham pleine de gratitude.

Plaidoyer pour la mise en place d’une crèche

  Face à leurs difficiles conditions d’étude et d’existence au campus social de l’Ucad, les étudiantes-mères sollicitent l’assistance et l’accompagnement des autorités universitaires pour leur faciliter la poursuite de leurs études. « Elles doivent installer une crèche au sein de l’université pour nous aider à concilier la responsabilité de mère de famille et les obligations pédagogiques », plaide Mme Sarr Aïssatou Diakham étudiante en master 1 à la faculté des Lettres et sciences humaines.

  Là où la grande doléance d’Aïssatou est la création d’une crèche à l’Ucad, sa sœur Khady Diakham insiste, elle, sur la nécessité d’attribuer un lot de codifications aux étudiantes mariées comme c’était le cas il y a quelques années avec les logements dénommés PM 4 et PM5 (pavillon des mariés).

  Pourtant assure Agathe Diatta, étudiante en master 2 au département d’anglais « à travers les amicales estudiantines, le Coud vient en appui aux étudiantes-mariées ». Ce à quoiKhady Diakhamqui est en master 2 à la faculté des sciences juridiques et politiques répond dans un éclat de rire « A vrai dire, je n’étais pas au courant qu’au sein du Coud il y a un département qui se charge des questions telles que la prise en charge des étudiantes-mariées »