À l’approche des législatives au Sénégal, la campagne électorale prend un tournant décisif avec la montée en puissance de la communication digitale. Les candidats, conscients d’une population de plus en plus connectée, adoptent des stratégies novatrices en s’appuyant sur les réseaux sociaux pour interagir directement avec les électeurs. Entre vidéos engageantes, « livestreams » et contenus interactifs, cette dynamique transforme le paysage politique, redéfinissant les modes de mobilisation et d’information des citoyens.
Dès que l’on franchit les portes de l’atelier de Sam’s à la Médina, l’odeur d’encres fraîches et de matériaux de sérigraphie embaume l’air. Les murs de l’atelier sont ornés de croquis et de maquettes de diverses affiches, mais une atmosphère de calme inhabituel y règne. « C’est étonnant, » avoue Ousmane Dièye, l’un des sérigraphes. « Habituellement, à cette période, nous serions débordés de commandes. Mais pour l’instant, le rythme est très tranquille. Je n’ai qu’une seule commande », précise le jeune homme. Les artisans s’affairent autour de leurs machines, mais sans la frénésie d’antan. À l’approche des élections, ils s’attendaient à un afflux important de clients désireux de préparer des affiches et des supports visuels. Pourtant, jusqu’à présent, seulement quelques commandes sporadiques ont été passées, principalement pour des Tee-shirts et des affiches basiques.
« Nous avons déjà collaboré avec quelques partis, mais pas autant que lors des précédentes élections, » déclare Elhadj Malick Sylla, jeune graphiste et responsable de l’atelier. « Il semble que certains partis ne soient pas encore prêts ou qu’ils hésitent à investir autant cette fois-ci. La situation est très différente de ce que nous avons connu auparavant. » Les artisans règlent leurs machines, espérant que les clients afflueront bientôt. « Peut-être que les candidats attendent de voir comment évoluent les campagnes avant de s’investir dans les supports visuels, » suggère Ousmane.
Parallèlement, l’ambiance politique semble moins énergique qu’auparavant, ce qui pourrait expliquer le ralentissement des activités à l’atelier. Une transformation majeure s’opère dans les méthodes de campagne des candidats. Fini le temps des affiches en masse et des T-shirts brandis. La communication digitale s’est imposée, catalysée par une jeunesse connectée et des technologies en constante évolution.
Un tournant numérique
Dans les rues de Dakar, les affiches traditionnelles se font de plus en plus rares. Les candidats privilégient les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, WhatsApp et TikTok pour toucher électeurs et sympathisants. « La digitalisation offre un outil puissant pour créer un lien direct avec les citoyens », explique Mouhamed Ciss, professionnel du digital. Selon lui, les campagnes digitales permettent d’interagir en temps réel et d’adapter rapidement les messages en fonction des retours des électeurs. Certains candidats se concentrent davantage sur WhatsApp et TikTok, car « le partage de contenu y est plus viral ».
Les candidats rivalisent de créativité pour capter l’attention sur leurs profils. Vidéos, animations, infographies et défis viraux sont au programme, et chaque publication est soigneusement élaborée pour maximiser l’engagement. « Le contenu visuel est crucial », souligne Mouhamed Ciss. « Une image forte ou une vidéo inspirante peut susciter plus d’intérêt qu’une simple affiche. » Les engagements sur les réseaux sociaux sont scrutés de près, chaque « like » ou partage est perçu comme une victoire pour les équipes de campagne. L’avantage majeur du digital, selon lui, est la capacité de mesurer en temps réel la popularité du candidat : « nous avons accès à des statistiques instantanées ». Cependant, il met en garde sur le fait que les messages doivent répondre aux attentes du public cible et respecter des normes standards.
Les jeunes électeurs sont au cœur de cette stratégie. D’après un rapport de NOISY DIGITAL, le Sénégal comptait 3,71 millions d’utilisateurs de réseaux sociaux en janvier 2024, représentant 20,6 % de la population totale. La coalition And Bessal Sénégal (ABS) du candidat Abdoulaye Sylla a bien saisi cette opportunité. Amadou Tidiane Guissé, mandataire et membre de la cellule de communication, explique : « Nous avons choisi le digital car presque tous les Sénégalais possèdent un smartphone et se connectent sur les réseaux sociaux. Nous avons investi dans de nouveaux matériels et constitué une équipe de spécialistes de la communication et du digital. » À travers leurs 120 groupes WhatsApp, ils interagissent avec leurs militants et sympathisants, utilisant également TikTok et Facebook pour produire des vidéos et des infographies : « Le monde évolue avec le digital. La communication sur les réseaux est plus virale, et nous avons dépensé plus de 100 millions ».
« Je ressens une immense joie en regardant ces vidéos et en suivant les lives »
Le parti Pastef ne reste pas en retrait dans le domaine de la communication digitale. Tout au long de la journée, il partage activement ses actions sur le terrain, attirant ainsi l’attention d’un grand nombre de Sénégalais. Mariama Ndiaye en est un exemple. Rencontrée sur la VDN, cette sympathisante de Pastef est absorbée par son téléphone. En parcourant son fil d’actualités, elle tombe sur une vidéo d’un meeting du parti à Tambacounda. Elle prend un moment pour regarder la vidéo, un sourire se dessinant sur son visage. « Étant donné que je ne peux pas me déplacer dans les régions pour assister aux meetings de Pastef, je me tourne vers les réseaux sociaux. Cela me permet de suivre les informations en temps réel », explique la jeune étudiante. Avec enthousiasme, elle ajoute : « je ressens une immense joie en regardant ces vidéos et en suivant les « lives ». Parfois, les émotions me submergent et je n’hésite pas à laisser couler mes larmes. »
Pour Djibril Diallo, Maître en Sciences politiques, « nous assistons à une refonte de l’espace politique sénégalais, accompagnée par l’émergence de nouveaux leaders politiques et d’une nouvelle relation entre élus et citoyens. La communication politique évolue avec ce changement, et à l’ère numérique, il est naturel que les acteurs y recourent. » Il observe que « la communication digitale est plus rapide et parvient aux populations plus efficacement que le transport et la distribution d’affiches ou de T-shirts, surtout dans les zones reculées ». Toutefois, il prévient que, malgré cette évolution, les militants demeurent attachés à des marqueurs identitaires comme les T-shirts et les casquettes à l’effigie de leurs leaders. Il est donc préférable de trouver un équilibre entre communication traditionnelle et numérique. À mesure que la campagne pour les législatives avance, il semble que la stratégie digitale s’impose comme la norme au Sénégal. En s’appuyant sur les nouvelles technologies, les candidats cherchent à répondre aux attentes d’une population de plus en plus connectée.
Mamadou DIOP – Ndieme FAYE