REPORTAGE – DAK’ART : L’ŒUVRE DE ANTA GERMAINE GAYE ENTRE CRÉATIVITE ET AUTHENTICITÉ

Depuis le début de la 15e édition de la biennale de l’art contemporain de Dakar, les œuvres des exposants ne font qu’émerveiller les visiteurs. Une biennale qui ressemble à une forêt amazonienne où on trouve l’essentiel de la création. Diverse et variée tant que soit, une œuvre semble sortir de l’ordinaire de par sa spécificité. Il s’agit de l’exposition de Anta Germaine Gaye, artiste et professeur d’éducation artistique.

Faut-il écrire sur l’œuvre ou sur l’auteure ? difficile tant les deux se confondent et sont liées. Le choix est difficile à faire entre la création et la créatrice, mais c’est sur l’œuvre qu’il se fera en compagnie la créatrice.

Dans le monde de la création il y a souvent des œuvres qui dépassent l’entendement et qui se collent à l’esprit du visiteur comme se colle du parfum sur la peau, presque toujours présent à l’esprit. Cette 15e édition de la biennale de Dak’art a permis à Anta Germaine Gaye de montrer tout son savoir-faire dans le milieu restreint des artistes les plus en vue. Elle y a produit une « chambre », « des pièces à tableaux » et un « jardin » dans cette forêt d’exposition sise à l’ancien palais de justice de Dakar.

 A l’entrée de l’imposant bâtiment, une vaste cour. Tout droit, une rangée de d’habit de couleur rose tel des cerfs-volants est accrochée à la colonne de poteau. A droit un autre tableau avec un panneau d’annonce interdiction de toucher aux œuvres d’art.

Dans la vaste cour beaucoup d’autres œuvres sont exposés çà et là. A gauche, au fond du couloir une affiche. Celle d’une dame couchée sur son fauteuil d’alors et à qui un hommage est rendu. Au fond, après un virage à gauche, le visiteur fait face à l’exposition de l’artiste Anta Germaine Gaye. C’est d’abord une chambre inspirée de celle que toutes les femmes coquettes désirent ou possèdent dans la ville tricentenaire et chez qui l’élégance se retrouve jusqu’au bout des ongles.

Dans cette pièce, les détails ont leur importance parce que chez Anta la « création est en moi et touche tous les domaines de la vie » détaille l’artiste.

L’idée de la création

La chambre est une installation, « de mobiliers d’objets et portraits d’époque intitulé « Mémoire sous verre ». Elle représente pour Anta Germaine une « anthologie de ce que j’ai vécu, de mes origines et de ce que je suis aujourd’hui, une véritable traversée ».

Dans la tradition du Xoymet, c’est des chambres aménagées par les femmes lors des mariages. Un lit sur lequel se trouvent, un drap blanc assortie de motifs faits à la main, cinq oreillers, d’une coiffeuse, et un encensoir. Entre la malle et la machine à coudre se trouve un poste téléviseur posé sur tiroir. Sur la machine à coudre, une horloge et un truc qui rappelle celle d’une machine à remonter le temps peuvent être vu à travers les verres. Tout près de la vaisselle accrochée au mur, on y trouve même un fusil et une commode. Par terre, est posé un tapis de couleur noir et blanc en plus de deux moquettes soigneusement étalées, supportant un plateau de théière et ses tasses. Une calebasse de pagne à tisser jouxte sur le lieu et fait face à une table avec un téléphone à fil.

Au-delà de cette chambre se situe dans l’arrière-cour ce « jardin avec les oiseux qui vous souhaitent la bienvenue et qui sont bavards le matin ». En entrant, l’artiste a pensé à un cloître, un lieu de recueillement et de prière mais aussi à un gynécée où les femmes se retrouvent à l’abri des regards.

L’influence de ses origines

A travers cette représentation, l’artiste a réuni un mobilier empreint d’histoire, d’objets collectés, de portraits familiaux et religieux, de la vaisselle, de textiles brodés et ses décorations d’Etat. Sur les murs, le visiteur peut voir les clichés de l’artiste avec les présidents successifs du Sénégal depuis Senghor.

Écrin de choix pour quelques-unes de ses œuvres, ce musée intérieur, bien que mise sous cloche invite à se blottir dans la nostalgie colorée des murs de Saint-Louis et ses lumières chaleureuses. A travers cette chambre, Anta Germaine Gaye, invite le visiteur à explorer un aspect de la vie saint-louisienne. Des « œuvres qui s’intègrent aux choses de notre temps » pourtant elles sont « relativement récentes puisque qu’elles ont moins de quarante an ».

 Dans cette chambre tout est vieux mais pour l’artiste, c’est un travail de vie : « j’ai passé ma vie à les essuyer et je me cache des fois pour ramener chez moi des objets afin qu’il n’y ait pas de scandale ».

 Cette chambre donc, est le fruit d’un « travail de longue haleine, et vous comprenez que ce n’est pas facile de ramasser en quelques mots un grand concept comme tel ». L’œuvre est liée à « mes origines saint-louisine » dont « les références existent toujours ». Une œuvre d’une telle finesse pourrait encore exister avec l’avancée fulgurante de la technologie ?

L’avenir de l’art

L’artiste y croit fermement même si « on n’arrête pas la mer avec ses bras surtout avec l’ère du numérique, un progrès se fera. Avec la digitalisation tout est possible pour la transformation.

A cela s’ajoute la circulation des œuvres qui va avec des plagiaires imitant et reproduisant à l’infinie ». Mais rassure Anta Germaine Gaye « l’intelligence de la réflexion ne s’arrête jamais » et d’ajouter que « même ceux qui ont créé l’ordinateur étaient obliger de réfléchir pour le créer et l’utiliser ».

Bien que certaines choses aient été créées, beaucoup d’autres vont continuer à évoluer, mais « je pense que le propre de l’homme c’est l’intelligence et la réflexion. La réflexion et la pensée ne s’arrêtent pas. La créativité doit être cultiver en déménageant de larges actes et amener l’esprit au-delà de là où il était, faire une projection, faire voyager l’imagination, qui est plus importante que le savoir comme le disait Einstein.

Pour bâtir des œuvres d’une grande importance, on doit savoir le but de son travail. « Moi par exemple, je travaille parce que ça me plait, parce que j’y crois et je donne une forme à tout ce qui m’habite » s’exclame l’artiste.

Parce que « c’est une vision du monde qu’on exploite, qu’on cultive et qui ne s’arrêtera jamais ». C’est pourquoi « je travaille sur le verre, le fer et sur d’autres mais aussi sur tout est une vision du monde. Tout ce que je vois m’inspire et je ne me répète pas, ce que je fais aujourd’hui sera différente de demain et même si on m’imite cela ne dérange pas.

Oumar Takourou