Enseignant, homme politique et premier Directeur général de l’UNESCO noir. Amadou Mahtar Mbow a marqué l’Afrique et le monde de son empreinte, visionnaire, résistante, profondément humaniste et proche de la nature. À l’occasion du centenaire de l’illustre Sénégalais, un colloque et une exposition se sont tenus samedi 20 mars à Dakar. Portrait d’un homme de légende et de lettres.
C’est au confluent des conflits de son siècle, que le caractère d’Amadou Mahtar Mbow s’est forgé. Un siècle de colonisation, de guerres mondiales, de Guerre Froide. Cette période de violences et de mutations a donné sens à l’élection de l’homme politique au poste de directeur général de l’UNESCO. Un poste qu’il a occupé pendant 13 ans, de 1974 à 1987. Retour sur la vie de l’actuel Président des Assises nationales sénégalaises, celui à qui l’on doit le retour dans leur pays des oeuvres d’arts volées pendant la colonisation, la création de programmes en faveur de l’environnement et le développement à l’aide de la science et de la technologie.
Nature et culture
Né à Dakar le 20 mars 1921, alors que le Sénégal est une colonie française, Amadou Mahtar Mbow perd sa mère très tôt, un an après sa naissance. Il est ainsi envoyé à 200 kilomètres de Dakar, dans la ville de Louga, où il est alors élevé par celle qu’il considère comme sa « mère véritable », une autre des femmes de son père polygame. C’est de son éducation et notamment via des contes animaliers que lui raconte tous les soirs sa mère qu’Amadou Mahtar Mbow tient son rapport étroit avec la nature et son souci écologique, qu’il a défendu politiquement. « Elle me transmettait par ce biais les valeurs de notre société. Ces contes-là suggèrent aussi que nous avons vécu dans des endroits où il y avait tous ces animaux sauvages, qui hélas aujourd’hui n’existent plus ou sont devenus rares(…). A travers ces récits, elle nous apprenait notre histoire, du point de vue africain » raconte-t-il au sociologue Mahamadou Lamine Sagna dans son ouvrage « Amadou Mahtar Mbow, une légende à raconter, entretiens avec un éclaireur du siècle ».
Il a été nourri par ses racines traditionnelles. Pour lui, l’humain est au centre. Le crédo des Sénégalais tient en la phrase suivante : « l’Homme est le remède de l’Homme ». Au lieu de « l’Homme est un loup pour l’Homme » pour l’Occident
Doudou Diène, juriste et diplomate sénégalais
Pour Doudou Diène, juriste et diplomate sénégalais proche de Mahtar Mbow avec qui il a travaillé à l’UNESCO, la singularité de l’homme politique tient à ses racines et son enfance. « Il a été nourri par ses racines traditionnelles. Pour lui, l’humain est au centre. Le crédo des Sénégalais tient en la phrase suivante : « l’Homme est le remède de l’Homme ». Au lieu de « l’Homme est un loup pour l’Homme » pour l’Occident ».
Une éducation proche des hommes, des animaux et des plantes qui fera naître plus tard en Amadou Mahtar Mbow une vocation d’enseignant historien-géographe.
Passé par l’école coranique où il étudiait la religion, son père l’a ensuite envoyé à l’école française, où il étudiait en compagnie d’Européens. À 17 ans, il part à Dakar et est recruté comme commis dans l’administration après un concours dont il sort major. Pendant ce temps, il suit en parallèle les cours de l’aviation populaire créés par la France lorsqu’Hitler accède au pouvoir en Allemagne.
À l’âge de 19 ans, il part en France étudier la mécanique à l’Armée de l’Air. Il s’enrôle ensuite volontairement en 1940 et est démobilisé quand l’Allemagne capitule le 8 mai 1945. Il rentre alors au Sénégal.
Avec la soif de savoir qui caractérise son parcours, Amadou Mahtar Mbow repart par la suite étudier en France, à la Sorbonne, d’où il ressort avec une licence en histoire et géographie et initie la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France. C’est à cette période qu’il décide de créer, avec le futur ministre sénégalais Abdoulaye Ly, « un groupe pour préparer les étudiants africains à lutter plus tard pour l’indépendance de leur pays, à leur retour en Afrique », raconte Amadou Mathar Mbow dans ses entretiens avec Mahamadou Lamine Sagna.
Regarder : Amadou Mahtar Mbow fête ses cent ans !
Mahamadou Lamine Sagna signe un livre rassemblant les divers entretiens récoltés auprès d’Amadou Mahtar Mbow et qui retrace un parcours, fort d’anecdotes et de faits marquants, de son enfance à sa carrière politique.
Avant d’aller dans un village, je fais une revue des publications des données sur le village, leur écosystème, leur culture, leurs valeurs, leurs croyances, etc.(…). Puis quand j’arrive dans le village, je commence ma batterie de questions sur la vie du village, les activités économiques, la santé, la vie sociale. Et cela de façon subtile, parce qu’il ne s’agit pas d’interrogatoire. Je pose donc des questions sur leur organisation, leur histoire, leur culture, leurs relations sociales, leurs problèmes
Amadou Mahtar Mbow
La méthode Mbow
D’abord affecté en Mauritanie où il part enseigner deux ans avec son épouse, Amadou Mahtar Mbow revient ensuite au Sénégal pour y diriger, en 1953, un projet d’éducation en faveur des déshérités à l’appel de l’UNESCO. À Mahamadou Lamine Sagna, il raconte : « Avant d’aller dans un village, je fais une revue des publications des données sur le village, leur écosystème, leur culture, leurs valeurs, leurs croyances, etc.(…). Puis quand j’arrive dans le village, je commence ma batterie de questions sur la vie du village, les activités économiques, la santé, la vie sociale. Et cela de façon subtile, parce qu’il ne s’agit pas d’interrogatoire. Je pose donc des questions sur leur organisation, leur histoire, leur culture, leurs relations sociales, leurs problèmes ».
Ainsi, il implante l’éducation de base dans plusieurs communes du Sénégal et résout par exemple le problème de mortalité infantile dans le village de Badiana en Casamance, avec la mise en place d’une éducation sanitaire. Une méthode Mbow couronnée de succès et basée sur l’échange, la pédagogie et la confiance avec les villageois. « Toute son expérience de pédagogue, d’enseignant, a contribué à cette conviction qu’il faut enseigner, c’est-à-dire faire ensemble, faire connaître, partager. La pédagogie était une éthique », témoigne Doudou Diène.
Arrivée en politique
En 1955, les conflits entre les deux principaux partis sénégalais tournent à l’affrontement. C’est le moment qui pousse Amadou Mahtar Mbow à se lancer en politique avec des amis, pour « transformer le pays » et y instaurer la solidarité, la paix et rassembler tous les Sénégalais. Il contacte Senghor, député du Sénégal et vieille connaissance et lui propose ses services. Il devient ministre de l’Education, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports de 1957 à 1958 et démissionne ensuite pour s’engager dans la lutte pour l’indépendance de son pays, effective en 1960. Il occupe par la suite les postes de ministre de l’Education nationale de 1966 à 1968 puis de la Culture et la Jeunesse jusqu’à 1970.
ll connaissait le déséquilibre de l’information entre les pays du Nord et du Sud et ce qu’il a fait, c’est de dire, bon : je vais donner sens et substance à cette revendication légitime et je vais nommer une commission qui va faire une étude globale de la problématique contemporaine de la communication. C’est là qu’il a créé la commission Seán MacBride, qui a produit un rapport au titre représentatif du nouvel ordre que veut instaurer Mahtar Mbow : « un seul monde et plusieurs voix «
Doudou Diène, juriste et diplomate sénégalais
C’est alors qu’il est nommé sous-directeur de l’UNESCO puis qu’il en devient le président pour deux mandats consécutifs, de 1974 à 1987. Il s’attelle notamment à la question de l’information et de la communication, de ses disparités dans le monde.
« ll connaissait le déséquilibre de l’information entre les pays du Nord et du Sud et ce qu’il a fait, c’est de dire, bon : je vais donner sens et substance à cette revendication légitime et je vais nommer une commission qui va faire une étude globale de la problématique contemporaine de la communication. C’est là qu’il a créé la commission Seán MacBride, qui a produit un rapport au titre représentatif du nouvel ordre que veut instaurer Mahtar Mbow : « un seul monde et plusieurs voix « » , explique Doudou Diène.
Lors de ses deux mandats, Amadou Mahtar Mbow a aussi créé des programmes en faveur de l’environnement, comme l’Homme et la Biosphère, la Commission Océanographique Internationale et le Grand Programme Scientifique de l’UNESCO. Un souci écologique qu’il tire de son enfance et de son éducation dans le pays profond du Sénégal.
L’homme politique a aussi joué un rôle déterminant dans la notion de race et l’enjeu de la mémoire entre les peuples : « Pour lui, c’est une mémoire qui doit être partagée et revisitée ensemble, d’où le lancement de l’Histoire Générale de l’Afrique et de huit autres volumes écrits par un colloque international ».
Amadou Mahtar Mbow a également initié le dialogue sur la question de la restitution des oeuvres d’art volées par les colons lors de la colonisation. Sa première résolution est alors de rendre aux pays d’origines leurs biens culturels.
« Chez lui prédomine la notion de patrimoine mondial. Il y a quelques domaines de la culture qui relèvent des pays eux-mêmes, mais il y en a d’autres qui relèvent de l’ensemble de l’humanité. Et cette notion de patrimoine commun est extrêmement importante à la fois pour la paix mais également pour la construction d’une humanité commune », continue Doudou Diène.
Au cours de ses deux mandats, les principales décisions qui ont été prises, à l’UNESCO, dans l’éducation, l’information, la culture, l’ont été par consensus
Doudou Diène, juriste et diplomate sénégalais
Une volonté de paix largement héritée de ses expériences de guerre et de colonisation et qui ont nourrit son mandat en tant que directeur de l’UNESCO. Mahtar Mbow cherche le consensus et l’entente des esprits plus que le simple accord politique, dans le but d’atteindre l’ordre nouveau auquel il aspirait.
« Mbow a été élevé dans un environnement où les questions n’étaient pas occultées, étaient posées. Pendant ces deux mandats, les questions qui se posaient devaient être débattues démocratiquement, avec l’ensemble de la communauté, pour arriver de manière contradictoire, quelque fois violente même, à des solutions communes, car il s’agit de construire le futur. Evidemment, ça n’a pas été simple et facile, mais au cours de ses deux mandats, les principales décisions qui ont été prises, à l’UNESCO, dans l’éducation, l’information, la culture, l’ont été par consensus », conclut Doudou Diène.
À 100 ans, la pensée visionnaire d’Amadou Mahtar Mbow, profondément humaniste, pacifiste et tournée vers le partage de savoir, est l’héritage des politiques d’aujourd’hui. Le colloque de Dakar en l’honneur de son centenaire a réuni politiques, chercheurs, diplomates, sur les thèmes chers à l’homme de coeur des Sénégalais.
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